Mariage à Notre-Dame de La Real

En ce beau jour du mois d’août 1789, le soleil brille. La Citadelle se détache sur le ciel d’un bleu comme on n’en voit que dans cette partie du royaume. Seuls quelques légers nuages, de-ci de-là, rappellent que depuis un mois la capitale est en effervescence, mais Paris est loin et les informations ne parviennent pas rapidement dans cette terre catalane. Le régiment de Touraine stationné en ville n’a reçu aucune consigne particulière. Ce 18 du mois, Perpignan vit donc un jour ordinaire.

Jour ordinaire, mais pas pour tout le monde, particulièrement au régiment de Touraine justement. C’est en effet aujourd’hui qu’Antoine Boujol, 27 ans, musicien à l’État-Major dudit régiment, épouse Jeanne Ris, 19 ans, fille d’un vétéran, dont la famille s’est installée il y a 6 ans en ville, dans la paroisse de la Real (1). Jeanne vit avec son père car sa mère, Magdeleine Blanc, est décédée depuis leur installation à Perpignan. Elle a au moins la chance d’avoir son père auprès d’elle pour la conduire à l’autel. Antoine dont la mère, Catherine Arbieu, est également décédée, n’a pas cette chance : son père, âgé de 69 ans, habite à Saint-Pons-de-Thomières, en Languedoc. Ce n’est pas très loin, mais il n’est plus en bien bonne santé et les voyages ne sont pas choses courantes ni faciles. Il a donné sa bénédiction à son fils dans un courrier remis à la poste qui assure le service depuis Saint-Pons jusqu’à Béziers d’où il a été acheminé jusqu’à Perpignan.

La mariée est resplendissante dans la magnifique robe que son père a fait confectionner spécialement pour ce grand jour : Jeanne est la dernière de ses enfants à se marier. Antoine a revêtu son uniforme de parade de musicien.

Après avoir reçu la bénédiction nuptiale en l’église Notre-Dame de La Real, la petite troupe composée par le couple, ses témoins et ses invités, accompagnée de monsieur le vicaire qui a officié à l’église, enfile la Rue Grande La Real, s’arrête un instant Place des Esplanades et, laissant les casernes sur sa gauche, attaque la montée à la Citadelle où une tente a été dressée pour fêter l’événement.

La musique du régiment au grand complet accueille le cortège devant le Palais des Rois de Majorque. De nombreux soldats et plusieurs officiers et bas-officiers auxquels se sont joints des amis du régiment de Vermandois, leur voisin, sont là pour les féliciter. Les tables dressées à l’ombre sont chargées de mets choisis. Des tonnelets de vins du Languedoc et même d’Espagne sont disposés sur des chevrettes en bois. Les convives font honneur à ces agapes. Entrainés par la musique, jeunes et moins jeunes enchaînent jusqu’à une heure avancée des danses de toutes les régions, à l’image des musiciens : rigaudon, sarabande, menuet, gigue, bourrée… Puis les militaires regagnent leur caserne, les civils et les officiers leurs logements. Antoine et Jeanne, dispensés de la caserne, passeront cette première nuit chez des amis qui leur ont prêté leur logis.

Le couple restera à Perpignan jusqu’en août 1790 (2), date du départ du régiment de Touraine pour Montauban (3).

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(1) Pour voir l’acte de mariage, cliquez ici.
(2) Grâce aux naissances des enfants, nous pouvons suivre le couple pendant plus de vingt ans au gré des déplacements du régiment d’Antoine. Jeanne suit donc son mari, militaire mais aussi musicien à l’Etat Major de son régiment. Nous ne savons pas à quel titre elle avait cette possibilité mais simplement supposer qu’elle exerçait une fonction « officielle » : cantinière… (voir l’article sur les femmes dans les armées de Napoléon). 
(3) Ce départ fait suite à une série d’évènements survenus en mai et juin 1790 en raison de différends entre le régiment et son colonel, André Boniface Louis Riquetti, vicomte de Mirabeau (ce frère cadet du Mirabeau que tout le monde connaît, portait le surnom de Mirabeau-Tonneau en raison de son embonpoint), qui eurent des répercussions jusqu’à l’assemblée constituante, le vicomte étant également député. Vous pouvez lire la relation de ces évènements tragi-comiques dans « Histoire de l’ancienne infanterie française » par Louis Susane, Paris 1851, ouvrage numérisé par Google-books, dont nous reproduisons l’extrait nous intéressant ici. Après sa démission, le vicomte Mirabeau émigrera à la fin du mois de juillet 1790.