Les femmes dans les armées de Napoléon

Jeanne Ris semble avoir accompagné son mari Antoine Boujol, musicien à l’Etat-Major de son régiment, dans ses garnisons successives. En effet, leurs enfants connus sont tous nés dans des lieux différents qui correspondent à diverses affectations de son régiment (1) :

     √ Jean- Baptiste, à Chalampé (Haut-Rhin actuel) en 1795
    √  Jean-Philippe, à Niort en 1799 
     √ Catherine, à Saint-Martin de Ré (aujourd’hui en Charente Maritime) en 1802
     √ Eugénie, à Bourg-en-Bresse en 1803, décédée à l’âge de quelques semaines
     √ Antoine Pierre Denis, à Genève en 1804
     √ Philippe Antoine (ancêtre direct de la branche suisse), à Alexandrie (Piémont actuel) en 1810

Nous ne savons pas si Jeanne avait une fonction officielle (cantinière…).

L’article qui suit apporte un éclairage sur les femmes qui suivaient l’armée sous l’Empire, situation qui devait déjà exister sous l’Ancien Régime.

Dans le sillage des armées napoléoniennes se trouvent de nombreuses femmes. Nous nous intéresserons à celles qui sont là de manière officielle, les blanchisseuses, les vivandières et les cantinières ou qui suivent un mari militaire.

Les vivandières s’occupent de la nourriture qu’elles ont le droit de vendre, ainsi que des objets de première nécessité (papier à lettres, lacets, boutons, eau-de-vie, vinaigre…). Elles reçoivent une « Patente de Vivandière » qui comprend leur signalement et la liste d’animaux et véhicules en leur possession (en général, un cheval). Ces femmes doivent être des citoyennes de bonnes manières, mariées à des soldats ou sous-officiers en activité de service et « dont la conduite et les mœurs sont des plus régulières ». Elles arborent, en guise de badge, un tonnelet qui, autant que faire se peut, contient de l’eau-de-vie comme « remontant ». Pour servir, plusieurs gobelets, qu’elles essuient avec leur tablier entre deux clients.

La cantinière est l’épouse du cantinier, marchand de comestibles. Tous deux suivent l’armée s’établissant au besoin dans les places principales.

Les blanchisseuses s’occupent du nettoyage des chemises, caleçons, mouchoirs, guêtres des soldats. Il y en a deux par bataillon, une par escadron.

Quel était leur habillement ? Il n’y a jamais eu d’uniforme pour les cantinières, elles portent ce qu’elles trouvent ou ce que leur fournissent les soldats en échange d’un peu d’eau-de-vie. Elles sont loin des images comme Marie de la Fille du Régiment, de Donizetti ! Plutôt musclées pour porter leurs biens à travers les lignes ou maîtriser un cheval. Elles se lavent le visage lorsqu’elles le peuvent (c’est-à-dire rarement). Elles ont « de la voix » car il faut pouvoir se faire entendre au milieu de la mitraille ou au milieu des soldats chantants ou ivres.

Comment débutaient-elles dans le métier ? Elles commencent par suivre un soldat, elles cheminent d’abord à pied comme les hommes. Au bout de quelque temps, elles s’installent sur un cheval « trouvé » ou acheté. A gauche, à droite, par-devant, par-derrière, des amoncellements de barils, de saucisses, de fromages,….

Près de ces cantinières, on rencontre aussi des femmes qui ne suivent les troupes que pour ne pas être séparées d’un mari ou d’un amant. Il y a les épouses qui ne peuvent compter que sur la débrouillardise de leur mari pour ne pas tomber dans la misère. En effet, nombreux sont les « commissionnés » soit les bottiers, les tailleurs, les musiciens, qui, n’étant pas à proprement parler des militaires, mais relevant simplement de l’administration de la guerre, échappent aux règlements concernant les femmes. Et beaucoup sont en ménage.

Ces femmes, en temps de campagne, restent dans les dépôts avancés, mais sitôt la paix faite, s’empressent de rejoindre leurs maris qui, en général, leur ont déjà préparé un logement.

Voici une histoire qui pourrait être celle d’Antoine Boujol et de Jeanne Ris, Girault étant lui aussi musicien de l’état-major :

Voici donc Lucile, femme de Philippe-René Girault, musicien d’état-major. Girault s’était marié à l’occasion d’une permission avec une fille de La Rochelle. En 1806, les deux époux se lancent sur les routes, alors qu’ils ont déjà charge d’âme, celle d’une petite fille. Pour suivre confortablement l’armée, ils ont fait l’acquisition d’un cabriolet et d’un cheval.
La petite famille traverse la France sans encombre en direction de l’Italie : Turin, puis Alexandrie, où le couple loue un petit appartement : la vie d’un musicien d’état-major offre de ces agréments qui feraient pâlir d’envie un troupier, voire un officier subalterne. Hélas, cet environnement douillet n’est cependant pas suffisant pour préserver la santé de l’enfant, qui meurt de la petite vérole.
Les Girault repartent. Ils font un séjour agréable à Vérone, puis gagnent Augsbourg, en Bavière, via le Tyrol qu’ils traversent sous la neige et sans s’arrêter un seul jour. A Halle, le cheval, prenant peur, renverse la carriole dans laquelle Mme Girault voyage présentement seule, bien qu’elle soit enceinte. Plus tard près de Donauwörth, nouvelle chute, dans le Danube cette fois. Un voltigeur sauve la naufragée qui s’est réfugiée sur le toit de la voiture. Averti de l’accident, Girault, très inquiet, accourt sur les lieux et trouve son épouse dorlotée par les militaires. Un peu éméchée aussi car, pour la réchauffer, les soldats lui ont administré une boisson un peu forte.
Le lendemain, ce courageux petit bout de femme repart pour Stettin où elle arrive le 13 juin 1807… juste à temps pour mettre au monde un beau bébé. Et dans cette ville où s’entassent douze mille soldats, les Girault, bien servis par le sort, ont la chance de pouvoir être logés seuls. Mais voilà  : le lendemain, ordre est donné au régiment de faire route. Girault supplie son colonel pour qu’il lui permette de rester au chevet de sa femme. L’officier, qui n’est point mauvais homme, mais qui est sans doute ce jour-là de méchante humeur, refuse.
Girault réussit pourtant à attendrir l’épouse d’un personnage important dans les armées de l’Empire, le maître cordonnier. Cette femme accepte de veiller sur la mère et sur l’enfant. Rasséréné, Girault suit les troupes. Après la paix de Tilsitt, le devoir l’appelle en Poméranie suédoise où viennent de débuter les opérations du siège de Stralsund. Dès que la cité se rend, le musicien fait venir sa femme et l’installe avec lui chez une demoiselle célibataire. Ils restent là un mois avant de repartir pour Brême – où l’enfant est enfin baptisé – et le Danemark.
Cette vie errante finit cependant par lasser le couple, et Girault, inquiet pour la santé de sa femme et celle de son petit garçon, s’ouvre de ses préoccupations au secrétaire de son colonel : « Pourquoi, lui dit ce dernier, n’emmenez-vous pas votre femme au camp et ne lui feriez-vous pas tenir cantine ? Vous ne seriez pas séparés et vous gagneriez de l’argent. » Et, avec générosité, il propose à Girault de mettre de l’argent à sa disposition pour les premiers achats.
Toute autre que Madame Girault, devant une proposition aussi farfelue, se fût récriée d’indignation. Mme Girault, elle, accepte, moins par emballement pour la fonction que pour avoir la certitude de n’être plus séparée de son musicien de mari. Avec l’argent prêté par le secrétaire, elle effectue les premiers achats destinés à sa pratique, de quoi manger, beurre, fromage, et, surtout boire : vin, eau-de-vie, rhum, et bière. Et les affaires prospèrent ! Pour un peu, les Girault créeraient un comptoir. Mais ils doivent repartir. Destination : le Hanovre et la Westphalie où le roi Jérôme, peu soucieux de s’encombrer des vaillants mais turbulents troupiers de son frère, refuse de les recevoir dans sa ville de Cassel. Mme Girault est enceinte une nouvelle fois. Sagement, son mari décide de l’envoyer à Poitiers où, précise-t-il, elle fut bien reçue dans sa famille. Le 9 février 1809, elle met au monde un autre petit Girault qu’elle prénomme Philippe-Georges-Benjamin.
Le musicien lui-même commence à se lasser de cette errance sans fin, sinon sans but. La deuxième campagne d’Autriche, au cours de laquelle il aide à panser les blessés d’Essling et ceux de Wagram, marque la fin de sa carrière, ne disons pas de soldat, mais de musicien des armées, et en 1810, il décroche définitivement : il obtient un poste de maître de psalette à la cathédrale de Poitiers. Dès lors, pour lui, la vie s’écoulera paisiblement jusqu’à son terme, le 3 mars 1851.

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Cette page emprunte beaucoup, notamment le récit de l’épopée de Lucile et une partie des illustrations, à « Les femmes dans les Armées de Napoléon » par Robert Ouvrard que nous remercions pour son excellent travail.

(1) On rappelle qu’Antoine a fait toute sa carrière dans le même régiment. Les différentes appellations ou numérotations de celui-ci pourraient faire croire le contraire. Voir l’article sur l’histoire de ce régiment (à venir).