Les Boujol et le Grand-Saconnex

Comme tous les citoyens suisses, les membres de la branche suisse de la famille ont une commune d’origine, en l’occurrence le Grand-Saconnex, dans le canton de Genève. Nous allons essayer de comprendre pourquoi.

Le recensement de la population genevoise de 1811 mentionne que la famille d’Antoine Boujol est installée en ville de Genève, dans le quartier de Saint-Gervais, au 130 de la rue des Etuves (*). Le cadet des enfants, Philippe Antoine (ascendant direct de la branche suisse actuelle), étant né le 15 septembre 1810 à Alexandrie dans le Piémont italien (alors chef-lieu du département de Marengo), la famille est donc arrivée à Genève fin 1810 – début 1811, ce que confirme le document du recensement. Les documents relatifs à l’acquisition de la nationalité genevoise par Antoine et son fils ainé, Jean-Baptiste, mentionnent que toute la famille est installée au Grand-Saconnex depuis le 23 février 1814 et qu’ils y sont encore le 20 février 1816. Jean-Baptiste se marie à Genève le 3 novembre 1817, mais l’acte de mariage indique que lui-même et ses parents sont domiciliés au Grand-Saconnex. Le 22 juin 1818, lors de la délivrance d’un permis de séjour, Jean-Baptiste est domicilié rue Chevelu, maison Paccard, à Genève. Le recensement de 1822 confirme que toute la famille réside au 55 bis rue Chevelu dans une maison appartenant à la veuve Paccard, y compris Jean-Baptiste et son épouse, Benoîte Fleurent. Comment expliquer ces déménagements successifs ?

Il faut se rappeler que la période était agitée et la situation compliquée ! A la Révolution française, les anciennes régions disparaissent et le territoire est divisé en départements. Le Pays de Gex auquel appartient le Grand-Saconnex fait partie du département de l’Ain, canton de Ferney-Voltaire. En 1798, lors de l’annexion de la République de Genève à la France, est créé un nouveau département, le Léman. Outre Genève, celui-ci comprend le Pays de Gex et la région savoyarde limitrophe. En 1799, sont créés les arrondissements, ce qui entraine une nouvelle modification des structures administratives, le Grand-Saconnex se trouvant inclus dans l’arrondissement de Genève-Ouest. Cette situation durera jusqu’à la fin de l’Empire.

Le 30 décembre 1813, les troupes françaises se retirent de Genève et de sa région, remplacées par celles de l’Autriche qui occupent en janvier le Pays de Gex et la Savoie. Les mois de février et mars 1814 seront riches en rebondissements, les troupes françaises reprenant pour une courte durée le Pays de Gex et Carouge. Les troupes autrichiennes quitteront Genève le 17 mai 1814 après l’abdication de Napoléon (6 avril 1814). Le 31 décembre 1813, le gouvernement provisoire genevois avait proclamé la restauration de la République de Genève. Peut-on voir dans ce dernier évènement la raison du départ de la ville vers une commune française en ce début d’année 1814 ? Rappelons que les Boujol sont français et catholiques, qu’Antoine ancien militaire de surcroît a séjourné à Genève avec son régiment en 1804 (son fils Antoine est né le 31 octobre 1804 à Genève) et qu’il représente donc « l’occupant ». Faut-il craindre des représailles ou du moins un certain rejet ? Même si le sort du Pays de Gex et du Grand-Saconnex n’est pas certain, la famille peut s’y sentir plus en sécurité.

En juillet 1815 l’armée suisse occupe, sur demande du gouvernement genevois, et jusqu’en mars 1816, une partie du Pays de Gex, notamment les villages de Versoix, Collex-Bossy, Meyrin et le Grand-Saconnex, avant d’être remplacée par des troupes genevoises ; celles-ci restèrent jusqu’à la cession définitive des six communes gessiennes (Versoix, Collex-Bossy, Pregny, le Grand-Saconnex, Vernier, Meyrin) cédées par la France à Genève selon le second Traité de Paris (signé le 20 novembre 1815). Tous les maires français furent maintenus dans leurs fonctions. Ce fut le cas au Grand-Saconnex, mais Jean-Pierre Sibelet démissionna parce qu’étant officier en demi-solde il ne pouvait pas conserver sa pension avec la fonction de maire d’une commune suisse. Est-ce qu’Antoine Boujol connaissait cet ancien militaire ?

Après la cession du Grand-Saconnex à la République et Canton de Genève, les choses ont changé. Ce qui incitera la famille à revenir en ville à une date pour le moment non déterminée. Restait la question de leur statut. Les traités comportaient des dispositions visant à régler la situation des habitants des territoires cédés. Ils prévoyaient que tous les habitants des communes rattachées, auparavant français, devenaient genevois et par conséquent suisses. Il n’en fut rien, car les autorités de l’ancienne république protestante, peu désireuses de voir augmenter le nombre de nouveaux citoyens catholiques, cherchèrent à en limiter l’application.

Ce problème de nationalité fut réglé par la loi du 14 novembre 1816 dont l’article 4, faisant référence au Traité de Paris du 20 novembre 1815, visait dans son § 4 le cas des personnes dans la situation de la famille Boujol :
          « Art. 4
          …seront considérés comme Genevois, s’ils professent la Religion Chrétienne, les Français qui se trouveront dans l’un des cas ci-après, savoir :
                        …
                    4. Ceux qui justifieront d’un droit d’habitation acquis au 20 novembre 1815 sur le dit territoire cédé. »

Jean-Baptiste fut donc reconnu Genevois par le Conseil d’Etat le 13 août 1821 et son père Antoine le 22 décembre 1822. Quant à son épouse, Jeanne Ris, et aux enfants mineurs, Catherine, Antoine et Philippe, ils devenaient Genevois automatiquement suite à l’acquisition de la nationalité par leur époux et père.

Si nous comprenons mieux la démarche suivie, nous n’avons pas de réponse sur le choix du Grand-Saconnex. Etait-ce simplement une question de proximité avec la ville où Antoine et Jean-Baptiste avaient peut-être conservé une activité ? Avaient-ils un lien avec d’autres personnes résidant dans cette commune ? Cela reste pour le moment une énigme.

(*) Cette maison construite par un nommé Favre appartenait en 1811 à un Lacombe qui y habitait.